Effrayant

La scène se situe dans la pénombre et le silence d’une chambre à coucher. Une porte est entre-ouverte d’où s’étire un triangle de lumière vive. Le téléspectateur est à ce moment-là calme, bien calé dans son fauteuil, mis en confiance par la scène précédente, scène d’un quotidien sans accident, morne et répétitif. Soudain, une musique stridente hurle, brutale et dissonante. Le cœur se met à battre plus vite, le sang bat dans les veines.

Pourquoi cette musique déclenche-t-elle l’effroi ? C’est d’abord sa soudaineté qui surprend et également le contraste entre le calme et le silence de la scène et son volume, mais cela n’est pas tout. La manière dont les notes sont agencées entre elles met également mal à l’aise.

Waiting for the Barbarians – Frédéric Dunis, Bernard Grimaldi

Cela fait des siècles que notre culture musicale occidentale d’une richesse inouïe, est basée sur une grammaire harmonique bien précise et très codée dont le confort tout en nous touchant et nous émouvant toujours, ne nous surprend guère. Pour qu’une musique effraye, il faut qu’elle rompe avec nos habitudes, nos standards. Dans les années qui précédèrent l’arrivée du cinéma sonore, un groupe de musiciens viennois, Schoenberg, Berg, Webern, expérimenta une nouvelle grammaire, bouleversant l’écriture musicale occidentale des siècles précédents. Les notes devenaient égalent les unes par rapport aux autres, les structures connues et reconnues disparaissaient, tout était permis à l’intérieur de nouvelles règles très strictes qui révolutionnèrent la création musicale. Les repères des auditeurs disparurent, les notes se frottaient les unes aux autres dans une discordance apparente, les mélodies étaient inchantables, les rythmes difficiles. De nouvelles émotions musicales naquirent à l’écoute de ce nouveau genre musical : le dodécaphonisme.

C’est entre autres sous l’influence de cette technique musicale que les compositeurs de musique de film réussirent à provoquer l’effroi.

Mounting Horror – Selma Mutal

Une musique semble effrayante quand les notes se mêlent les unes aux autres, trop proches pour être distinguées ou chantées. Elles sont souvent aigues ou suraigues, fortes et désagréables, elles font penser à des pâtes sonores indistinctes. Ou bien elles grondent, très graves et rugissantes, elles nous emportent vers un univers fantasmagorique inconnu, de plainte animale ou monstrueuse.