Nouvel Eldorado, Pac-Man et dumping

La déstabilisation du marché de la musique provoquée par Internet, dont les producteurs phonographiques n’avaient pas anticipé l’impact, est en partie une des raisons de la succession de rachats et de regroupements qui modifie la répartition du marché de la musique, et, par suite, de la production music au sein de laquelle les majors sont de plus en plus impliqués.

En 2003, le groupe BMG, déjà propriétaire de Killers Tracks, Atmosphere, Match Music et de Koka-Media, après la vente de sa participation par Frédéric Leibovitz, acquiert, simultanément à Zomba Music, le groupe éditorial de production music de cette dernière. BMG Production Music se retrouve ainsi leader du marché, grâce au regroupement en son sein des labels Chappell, Bruton et Firstcom, avant d’être acquis par Universal en 2007. A partir de cette date, le groupe Universal Production Music est dès lors le principal acteur mondial du secteur. Avec l’acquisition en France de Kapagama et de Kosinus, Universal renforce sa position internationale, et dispose à ce jour du plus important roster de labels. Aux USA, Universal est propriétaire de Firstcom, Killer Tracks, et coactionnaire d’APM Music avec Sony/ATV, soit les trois principales sociétés américaines du secteur.

Depuis 2005, la branche publishing de Warner Brothers, Warner-Chappell Music, a constitué un groupe éditorial de production music à vocation internationale, en rachetant de nombreuses sociétés, parmi lesquelles les américaines One-Stop Music, 615 Music, Groove Addict et la britannique Carlin Production Music.

Par le jeu des acquisitions, Sony Music a dans un premier temps intégré Famous Music, également propriétaire d’Extreme Music, avant de racheter en 2012 EMI Music qui, avec KMP, possède l’un des fleurons de la production music.

La nouvelle entité créée par le Groupe Bertelsmann après la cession de BMG Music Group à Universal le groupe, BMG Rights Management, acquiert notamment Selectracks, X-Ray Dog, Parry Music, Deep East Music et récemment les sociétés françaises AXS et Télémusic, pour ne citer que les plus connues. Avec Sony, Universal et Warner Brothers, ce sont les quatre majors de l’édition musicale qui sont aujourd’hui impliquées dans cette activité. Hormis l’arrivée de nouveaux éditeurs chevronnés, tels que WestOne Music, Bibliotheque et Inspired Production Music au Royaume-Uni, Cezame Music Agency, Parigo et Myma en France, ou encore Intervox Production Music en Allemagne, les années 2000 ont vu apparaître, parmi les nombreux prétendants à ce nouvel Eldorado, des acteurs proposant de nouveaux modèles économiques. Fondées sur la négation du droit d’auteur, ainsi que sur le dumping grâce au concept de musique dite « hors droits », ces entreprises cherchent à se positionner sur le marché en fonction du seul critère de rentabilité à court terme et en faisant appel à des stratégies proches du hard discount. Bien que ces initiatives, avant tout mercantiles, ne puissent trouver d’échos favorables qu’auprès de producteurs pour lesquels la qualité musicale est une notion marginale, voire inexistante, il est malheureusement possible, qu’à terme, ce phénomène affecte la qualité de la production audiovisuelle dans son ensemble s’il venait à se généraliser en plus de mettre en péril les sociétés traditionnelles en place sur le marché ainsi que les revenus des créateurs.

A ce titre, la principale différence qui existe, outre les approches esthétiques et commerciales, entre la musique hors droit et celle des éditeurs de production music traditionnels, réside dans le fait que les compositeurs travaillant pour la première ne sont pas intéressés à l’exploitation des musiques qu’il ont cédées, le plus souvent forfaitairement, à ces entreprises. Ce qui peut être pour le frustrant et tout à fait inéquitable dans le cas où une de ces musiques viendrait à être synchronisée dans une importante campagne de publicité ou dans un grand film par exemple. Le procédé est donc un retour en arrière, vers les époques antérieures à l’instauration du copyright et du droit d’auteur, lequel figure dans la Convention Universelle des Droits de l’Homme.

Cependant, depuis quelques années, la production music se structure internationalement à la manière des labels des producteurs phonographiques. De nouveaux acteurs, tels que Real World, le label de Peter Gabriel, ou Lo Edition (émanation de Ninja Tune), et des diffuseurs tels que la BBC et ITV possèdent leurs propres catalogues. En France, Green United Music, producteur indépendant a créé ses labels GUM Collection et GUM Motion Tracks, distribués par Cezame Music Agency puis GUM Tapes distribué par Universal.

Et les pays émergents ?

Si cette brève histoire se concentre essentiellement sur les pays industrialisés, il est certain que, dans un avenir proche, les pays émergents, aujourd’hui marchés potentiels, deviendront à moyen terme des marchés porteurs compte tenu de leurs productions audiovisuelles. Qu’il nous suffise de penser à la Chine et à l’Inde, avec leurs populations de plus d’un milliard trois cents millions d’habitants par pays, et dont les classes moyennes sont en pleine expansion, pour imaginer ce que seront de tels marchés dans les années à venir. Si l’on ajoute à ces deux pays ceux de l’Amérique Latine, notamment le Brésil et le Mexique, ou encore l’Afrique, c’est d’un marché global dont il est question. Cette évolution devrait engendrer l’apparition de nouveaux créateurs venus de ces pays où la culture musicale est particulièrement vivante, et plus largement ceux de la génération du mouvement electro, lequel a pour spécificité de s’affranchir des frontières et des genres musicaux attachés aux traditions nationales.

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